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La Fondation Andy Warhol contre Lynn Goldsmith : l’usage du portrait de Prince n’est pas du « fair use »

Si le fair use est un concept de droit américain, il est intéressant pour les juristes français en matière de droit comparé, mais aussi parce que les défendeurs invoquent parfois le fair use devant les tribunaux français pour favoriser la liberté d’expression contre le droit d’auteur. L’affaire Warhol et son traitement par la Cour suprême permet de revenir, en théorie comme en pratique, sur ce concept complexe.

L’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Warhol met en lumière une divergence d’interprétation, si ce n’est un malentendu, sur l’application du premier critère du fair use : le but et le caractère de l’usage.

En 1984, le magazine Vanity Fair souhaitait accompagner l’un de ses articles sur Prince d’un portrait du chanteur. Le magazine a contacté Lynn Goldsmith, une photographe connue pour ses portraits de célébrités, afin qu’elle autorise l’usage d’une de ses photographies pour servir de référence à un autre artiste. Vanity Fair a ensuite contacté Andy Warhol pour qu’il fasse de la photographie de Lynn Goldsmith un portrait « à la Warhol », lequel a donc servi d’illustration à un article sur Prince. Warhol a ensuite, de son côté, créé quinze autres œuvres à partir de la photographie de Goldsmith, treize sérigraphies et deux dessins au crayon, formant la Prince Series. C’est alors qu’en 2016, Condé Nast, qui publie Vanity Fair, contacte la Fondation Andy Warhol, titulaire des droits sur les œuvres depuis la mort de l’artiste, aux fins de pouvoir réutiliser l’œuvre de 1984 en couverture d’un magazine rendant hommage à l’interprète de Purple Rain. La Fondation Andy Warhol ayant informé Condé Nast de l’existence de la Prince Series, le magazine a finalement utilisé une autre œuvre : Orange Prince. À cette occasion, Lynn Goldsmith n’a pas été contactée. Elle n’a donc pas été rémunérée ni créditée.

Après que la photographe eut vainement contacté la Fondation Andy Warhol, l’affaire s’est retrouvée devant les tribunaux. Les juges de premier niveau ont considéré que le fair use était caractérisé. Ce ne fut pas l’avis de la cour d’appel (Andy Warhol Found. for the Visual Arts, Inc. v. Goldsmith, 19-2420-cv [2d Cir. Aug. 24, 2021]). L’affaire a été portée devant la Cour suprême. Celle-ci avait à trancher la seule question de savoir si le premier critère du fair use relatif au but et au caractère de l’usage, y compris si l’usage est de nature commerciale ou poursuit des fins éducatives désintéressées, pesait en faveur de l’usage du portrait de Prince par la Fondation Andy Warhol.

Le fair use : un quadruple test

La Cour suprême commence par rappeler l’essence utilitariste du copyright qui vise à encourager la créativité et le progrès des arts au profit de l’enrichissement intellectuel de la société. Le copyright et le fair use sont deux faces d’une même pièce qui participent de cette finalité. D’un côté, le copyright récompense les auteurs via l’octroi d’un monopole. De l’autre, le fair use, entre autres garde-fous, permet certaines utilisations secondaires d’œuvres protégées pour ne pas freiner le progrès. Cette architecture devrait donc permettre de conserver, d’un côté, le droit de l’auteur d’une œuvre originale de créer des œuvres dérivées et, de l’autre, le droit pour les tiers de créer des œuvres secondaires contribuant au développement de la société.

Le fair use, comme le rappelle la Cour suprême, est un quadruple test, chacun des critères devant être apprécié au regard des circonstances précises de l’espèce. Les quatre critères du fair use ont été dégagés en premier lieu par la jurisprudence (Folsom v. Marsh, 1841) avant d’être codifiés dans...

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